Baillie Tolkien, ‘Lettres du Père Noël’
Baillie Tolkien, femme de Christopher Tolkien, a édité Les Lettres du Père Noël. Dans cet article elle décrit l’histoire familiale derrière les lettres et explique comment elles furent redécouvertes après la mort de Tolkien et préparées pour la publication.
Dans mon introduction aux différentes éditions anglaises des livres rassemblant les lettres du Père Noël, j’ai retracé leur histoire depuis la toute première lettre, reçue en 1920 par John, le fils aîné de J.R.R. Tolkien alors âgé de trois ans. Son frère cadet, Michael, était né au mois d’octobre de la même année ; puis Christopher les rejoignit en 1924, avant leur sœur Priscilla, en 1929. Une lettre leur parvint chaque année jusqu’en 1943, et tout au long de cette période les lettres et le monde du Pôle Nord évoluèrent, devenant de plus en plus passionnants. Diverses ficelles vinrent accroître leur apparente authenticité : les aides du Père Noël écrivirent par exemple des lettres aux enfants, qui eux-mêmes en envoyèrent au Pôle Nord.
La première lettre du Père Noël arriva avec un dessin du Père Noël et de sa maison.
Au cours de cette période de 23 années, Elfes des Neiges, Gnomes Rouges, Bonshommes des Neiges, Ours des cavernes, ainsi que les neveux de l’Ours Polaire, rejoignirent ce dernier et le Père Noël, leurs aventures mettant en scène des éléments qui émanaient de toute évidence de la même imagination qui avait créé la Terre du Milieu.
Pour respecter l’esprit de l’œuvre publiée, l’introduction ne pose pas la question de la véritable identité de l’auteur des lettres : J.R.R. Tolkien lui-même, naturellement. Tout au long de la période en question, les aînés gardèrent le secret à mesure qu’ils apprenaient la vérité, afin de laisser les plus jeunes profiter de l’excitation et du mystère entourant les lettres. Christopher avait déjà des doutes (très certainement alimentés par des camarades d’école qui le poussaient à remettre en question sa croyance dans le Père Noël) lorsqu’il tomba sur un dessin que son père avait laissé sur son bureau pour aller répondre au téléphone. Ce dessin, qui se trouve à la fin de la dernière édition, représente la Terre et l’univers.
A la mort de l’auteur en 1973, on pensait que les lettres étaient perdues ; ce fut donc avec un grand bonheur qu’on les vit resurgir dans leur intégralité du vaste amas de papiers qu’il avait conservés toute sa vie durant.
Elles n’avaient, bien entendu, aucunement été écrites en vue d’une publication, mais l’idée d’en faire un livre était attrayante. Christopher enseignait encore à l’université d’Oxford, et le classement des papiers de son père ainsi que la préparation de l’édition posthume de Sire Gauvain et de Pearl, l’occupaient à plein temps, sans parler du travail préparatoire sur Le Silmarillion ; comme j’avais déjà l’expérience du travail d’édition, et que j’étais évidemment en mesure de consulter Christopher à loisir, je fus chargée de regarder ces lettres dans la perspective d’en faire un livre.
Cela allait être la première publication posthume d’un texte de Tolkien, et notre approche fut mûrement réfléchie. La première édition en 1976, parue en France en 1977, était une sélection de lettres, dont certaines avaient été ré-arrangées et coupées, qui comprenait un certain nombre d’illustrations et autres éléments visuels tels que des timbres et des enveloppes.
L’édition anglaise du livre a été révisée plusieurs fois depuis ; jusqu’en 1999, lorsque la fidélité et l’enthousiasme croissant des lecteurs des œuvres de Tolkien publiées après sa mort nous encouragèrent à revenir aux lettres et illustrations originales, pour réaliser une édition entièrement nouvelle incluant de nombreux éléments jusqu’alors écartés. Le volume augmenté que l’on trouve aujourd’hui en est le fruit (paru en 2004 en France).
Etant donné que les lettres n’ont précisément jamais été conçues, et encore moins rédigées, comme un récit cohérent, des critiques peuvent être adressées quant à la forme même du livre. On a pu dire que les textes sont trop complexes pour des enfants en âge de croire encore au Père Noël, même si un adulte les lit à haute voix. Mais de nombreux enfants ont démenti ces réserves, et le livre a trouvé un public enthousiaste auprès de nombreuses familles. Des personnes nous ont raconté comment elles l’ont intégré à leurs propres fêtes de Noël, lisant la première lettre un jour déterminé, avant Noël, pour faire en sorte d’arriver à la dernière lettre la veille de Noël. Les lettres ont inspiré à d’autres familles encore l’idée de reprendre la correspondance avec le Père Noël pendant un certain temps. Et dans notre propre famille, c’est Christopher qui durant quelques années a écrit les lettres destinées à être découvertes par nos enfants, tandis que je me chargeais des dessins.
Le charme des lettres du Père Noël et de leurs illustrations est incontestable. Mais les lettres présentent également un certain intérêt historique et biographique, dans la mesure où elles couvrent en grande partie la période qui suit la Première Guerre mondiale, jusqu’à la Seconde (au moment où la dernière lettre était écrite, Michael était à l’armée depuis trois ans déjà, et Christophe venait tout juste de rejoindre la Royal Air Force). Elles donnent ici et là un aperçu de l’atmosphère qui régnait dans le quotidien des Anglais en général, et de la famille Tolkien en particulier, pendant cette période. Elles sont, en outre, un nouvel exemple de la manière dont le monde imaginaire de J.R.R. Tolkien imprégnait chaque aspect de son quotidien (monde visible par ailleurs dans les griffonnages qu’il laissait sur les pages des journaux, à côté de ses mots croisés, et qu’il conservait pour les intégrer plus tard à tel ou tel projet), alors que les Elfes, les Gobelins et peut-être même l’ombre de Gandalf en la personne du Père Noël, imposaient leur présence au sein des fêtes de Noël en famille.