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Arden Smith, Systèmes d’Écriture

Arden Smith offre une brève introduction aux alphabets et systèmes d’écriture inventés par Tolkien.

Tout au long de sa vie, J.R.R. Tolkien a imaginé divers systèmes d’écriture dont plusieurs sont représentés dans ses œuvres publiées. La plupart sont liés d’une manière ou d’une autre à sa « mythologie » de la Terre du Milieu, mais certains se rattachent à d’autres récits ou ont une existeence indépendante. D’un point de vue linguistique, ils se distinguent très souvent par leur complexité et leur raffinement, avec, notamment, des ressemblances dans la forme des lettres qui reflètent la proximité phonétique des sons représentés.

L’alphabet de Rúmil

 Conçu en 1919 et attribué plus tard à Rúmil, le sage noldorin du Valinor, il s’agit de la toute première écriture elfique inventée par Tolkien. Les lettres rúmiliennes, ou sarati (au singulier sarat), s’écrivent habituellement à la verticale, de haut en bas, mais peuvent aussi être tracées horizontalement, soit de gauche à droite, soit de droite à gauche, ou encore en boustrophédon (c’est-à-dire en changeant le sens du tracé à chaque ligne). On leur ajoute parfois des hampes ou des traits qui peuvent se limiter à une seule lettre ou s’étirer sur une ligne entière. Comme dans certains modes des tengwar, les voyelles sont représentées par des signes diacritiques. On trouvera des exemples de l’alphabet de Rúmil dans les numéros 13 et 15 de la revue Parma Eldalamberon.

Une partie du Conte de Túrin écrit en alphabet rúmilien.

Les tengwar

Les systèmes d’écriture les plus connus des lecteurs de Tolkien sont ceux que l’on retrouve dans Le Seigneur des Anneaux. On en compte deux : les tengwar et l’angerthas. Les tengwar (du quenya « lettres », au singulier tengwa) sont les lettres elfiques qui apparaissent par exemple sur la Porte Ouest de la Moria et sur l’Anneau Unique. Au sein de l’univers fictionnel, elles sont l’invention de Fëanor, le plus grand artisan de tous les Elfes noldorins, et servaient au départ à la représentation du quenya, la langue des Hauts Elfes. Différents peuples de l’ouest de la Terre du Milieu, elfes ou non, ont par la suite adopté cette écriture.

Lettre d’Aragorn, Roi du Gondor, à Sam Gamgie, Maire du Comté, écrit en caractères elfiques, les tengwar.

Les 24 lettres principales de ce système sont toutes formées d’un telco (« queue ») et d’au moins un lúva (« arc ») et peuvent être disposées dans un tableau de quatre colonnes (témar « séries ») et six rangées (tyeller « degrés »). Les témar et les tyeller sont associés à différentes catégories de sons, catégories qui varient selon la phonétique de la langue représentée ; chacune de ces représentations constitue ce que l’on appelle un mode. Il existe aussi un certain nombre de lettres supplémentaires qui diffèrent selon les modes. Les signes diacritiques, appelés tehtar (du quenya « signes », au singulier tehta), sont ajoutés aux tengwar pour indiquer, par exemple, une consonne redoublée, une nasale (comme m ou n) placée devant, ou une semi-voyelle (w ou y) placée derrière. Dans certains modes, consonnes et voyelles sont toutes deux représentées par des tengwar, alors que dans d’autres modes, seules les consonnes le sont, les voyelles étant quant à elles marquées par des tehtar. On pourra en apprendre davantage sur les tengwar dans l’Appendice E du Seigneur des Anneaux.

L’angerthas (les runes elfiques)

L’autre système d’écriture utilisé dans Le Seigneur des Anneaux est l’angerthas (du sindarin « longue série de runes »). Ses lettres se nomment cirth (au singulier certh), que l’on traduit le plus souvent par « runes », étant donné l’aspect angulaire de ces caractères qui rappelle inévitablement l’écriture des anciens peuples germaniques. Comme les runes d’autrefois, les cirth sont conçues pour être gravées dans le bois ou la pierre, alors que les tengwar sont plus adaptées à la calligraphie au pinceau ou à la plume. Les cirth auraient été inventées par les Elfes sindarins du Beleriand. L’alphabet runique le plus développé chez les Elfes, l’angerthas Daeron, porte d’ailleurs le nom du ménestrel de Thingol, le roi du Doriath ; mais d’autres peuples, notamment les Nains, ont aussi adopté l’usage des cirth. Les Nains de Moria utilisaient un alphabet runique modifié appelé angerthas Moria, tandis que les Nains de la Montagne Solitaire se servaient d’une autre variante, le mode d’Erebor. Ce sont ces runes naines que l’on trouve sur la tombe de Balin dans Le Seigneur des Anneaux et sur les facsimilés du Livre de Mazarbul (Peintures et aquarelles de J.R.R. Tolkien). Pour de plus amples informations, consulter l’Appendice E du Seigneur des Anneaux.

Les runes anglo-saxonnes et autres alphabets runiques

L’alphabet runique employé sur la carte de Thror et ailleurs dans Le Hobbit n’est pas l’angerthas, mais plutôt le futhorc, en usage chez les Anglo-Saxons il y a de cela plus d’un millénaire. Avant d’utiliser ces runes, Tolkien a dû les adapter à anglais moderne (voir l’Appendice B du Hobbit annoté pour plus de détails). Tolkien s’est servi d’autres alphabets runiques, parfois empruntés à l’histoire de l’Europe, parfois inventés de toutes pièces. Plusieurs de ses inventions, dont les runes gondoliniques, sont présentées dans l’article « Early Runic Documents » publié dans le numéro 15 de la revue Parma Eldalamberon. La skirditaila (« série runique ») taliskane, en usage dans une tribu d’Hommes ayant été en contact avec les Elfes daniens, est mentionnée (sans exemple) dans l’« Appendice sur les runes » qui clôt le septième volume de l’Histoire de la Terre du Milieu (The Treason of Isengard [La Trahison d’Isengard]). On y trouve également les premières versions de l’angerthas, de même qu’une variante en écriture cursive appelée alphabet de Dairon.

Avant que Tolkien n’invente le système fëanorien que nous connaissons aujourd’hui, au début des années 1930, plusieurs alphabets semblables aux tengwar voient le jour dans la décennie précédente. Parmi ceux-ci se trouvent les alphabets valmariques, dont Tolkien a laissé quelques exemples. Contrairement à l’alphabet de Rúmil, l’écriture valmarique ne peut être tracée qu’à l’horizontale, de gauche à droite ; mais elle se rapproche des systèmes fëanorien et rúmilien à plusieurs égards, notamment dans son usage des signes diacritiques pour représenter les voyelles. Un exemple d’écriture valmarique apparaît dans la légende de l’illustration du « Paysage lunaire » de Roverandom. D’autres échantillons sont reproduits dans les numéros 14 et 15 de la revue Parma Eldalamberon. De prochains numéros présenteront des manuscrits des années 1920 qui permettent de découvrir d’autres écritures elfiques de cette époque, dont certaines sont en quelque sorte les ancêtres des tengwar de Fëanor. Quelques-uns de ces alphabets pré-fëanoriens, tels le quenyatique, le fallasin, le noriaque, le banyarique et le sinyatic, apparaissent dans le numéro 16 de Parma Eldalamberon.

L’alphabet gobelin (Lettres du Père Noël)

Les lettres que Tolkien a écrites pour ses enfants, en se faisant passer pour le Père Noël et ses amis du pôle Nord, renferment elles aussi des alphabets inventés. L’écriture elfique dont se sert l’elfe Ilbereth est essentiellement une variante des tengwar fëanoriens, alors que l’alphabet gobelin, utilisé par Karhu l’Ours polaire, est très différent des autres alphabets inventés par Tolkien. Censé provenir des figures que les gobelins dessinaient dans leurs grottes, il est principalement constitué de bonshommes allumettes aux formes humanoïdes. Il est surtout alphabétique, mais compte néanmoins quelques caractères représentant des diphtongues et des combinaisons de consonnes parmi les plus courantes. Voir à ce sujet Les Lettres du Père Noël.

Les autres systèmes d’écriture

Tolkien a aussi inventé des écritures sans lien avec ses mondes fictionnels. L’une des plus anciennes, baptisée privata kodo skauta (« code scout privé »), apparaît dans un cahier de 1909 encore inédit : le Livre de Foxrook. Écrit dans un alphabet phonétique codé, il fait également usage de symboles idéographiques représentant un mot entier (Voir Bodleian Library, J.R.R. Tolkien: Life and Legend, p. 18 ; et Arden R. Smith et Patrick Wynne, « Tolkien and Esperanto », SEVEN, vol. 17 [2000], p. 29-34.) Vers la fin de sa vie, Tolkien a conçu son nouvel alphabet anglais, une écriture phonétique qui combine les principes logico-structurels de l’angerthas et des tengwar à des caractères qui rappellent plutôt le grec ou le latin. Cet alphabet n’a jamais encore été publié dans son intégralité, mais on en trouvera des exemples dans Wayne G. Hammond et Christina Scull, J.R.R. Tolkien : Artiste et illustrateur.

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