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Christopher Tolkien, La Légende de Sigurd et Gudrún ~ Résumé en prose

Ce résumé fut écrit par Christopher Tolkien exclusivement pour ce site.

Le texte principal de La Légende de Sigurd et Gudrún comprend deux longs poèmes : « Le Nouveau Lai des Völsungs » et « Le Nouveau Lai de Gudrún ». En raison du style archaïque et de la métrique adoptée par l’auteur, ce résumé peut être utile pour le lecteur qui ne connaîtrait pas la légende ou la forme poétique. Il ne prend pas en compte d’autres versions où elles diffèrent.

Le Nouveau Lai des Völsung

Jadis était un temps
où Ódin s’avançait,
le long de vastes flots
en ce matin du monde ;
à gauche gambadait
Loki aux pieds légers
à droite Hœnir,
flânait à son côté.

Il est dit que ces trois dieux (appelés les Ases, Æsir, en norrois), Ódin (le plus puissant des dieux scandinaves), Loki et Hœnir parvinrent à une cascade où résidait le nain Ándvari. Là, ils aperçurent une loutre qui avait attrapé un saumon ; mais Loki lui jeta une pierre et la tua.

Ensuite, les dieux poursuivirent leur chemin jusqu’à ce qu’ils arrivent à la maison d’un certain Hreidmar, à qui ils montrèrent la peau de loutre. Mais la loutre était le fils de Hreidmar, qui avait pris l’aspect d’une loutre pour aller pêcher. Hreidmar appela alors ses deux autres fils, Fáfnir et Regin, qui s’emparèrent des Ases et les capturèrent, exigeant qu’ils payent leur propre rançon en remplissant d’or la peau de la loutre et en en recouvrant l’extérieur, de telle sorte qu’aucune partie de la peau de l’animal ne demeure visible.

Loki parcourut terre et mer pour aller trouver Rán, l’épouse du dieu de la mer ; il obtint d’elle le filet à l’aide duquel elle attirait les hommes qui se noyaient dans les flots. Avec ce même filet, il captura le nain Andvari, qui pêchait dans sa cascade. Andvari paya sa propre rançon au moyen de l’or qui constituait son immense trésor, dont il essaya cependant de conserver un petit anneau ; quand Loki s’en aperçut, il lui prit cet anneau, qu’Andvari maudit alors.

Lorsque Loki regagna la maison de Hreidmar, Ódin, voyant l’anneau, le convoita, puis se l’appropria. Hreidmar et ses fils remplirent la peau de la loutre et la couvrirent avec l’or d’Andvari. Mais en regardant de près cette fourrure, Hreidmar aperçut un poil et exigea qu’il soit lui aussi dissimulé ; Ódin sortit alors l’anneau et le recouvrit.

Il était un roi scandinave du nom de Völsung, qui descendait d’Ódin. Son fils aîné, Sigmund, avait pour sœur Signý : sage, elle savait prévoir maints événements à venir. Völsung avait en outre neuf fils.

La grand’salle de Völsung était soutenue par un arbre gigantesque, dont les branches tenaient lieu de poutres et dans lequel chantaient des oiseaux. Un roi nommé Siggeir vint demander la main de Signý ; mais Signý s’avérait réticente. Cependant, malgré sa prémonition, la demande de Siggeir fut acceptée ; au moment convenu, Siggeir, accompagné de nombreux hommes, se rendit au pays des Völsung. Eut lieu un grand banquet.

Lors de ce banquet, par une sombre nuit de vent, la porte de la grand’salle s’ouvrit brusquement : entra un homme, de haute taille, très âgé, portant barbe blanche et enveloppé dans un grand manteau. C’était Ódin. Il tira une épée de sous son manteau et la planta dans le tronc de l’arbre immense, invitant quiconque parmi les hôtes présents à essayer de l’en arracher. Plusieurs s’acharnèrent, mais aucun ne réussit à la déloger, jusqu’à ce que Sigmund, fils de Völsung, la retire avec aisance. Siggeir proposa de l’acquérir à grand prix, mais Sigmund rejeta son offre avec dédain. Ce fut le début de la haine.

Cependant, malgré sa prémonition, Signý dut quitter la maison des Völsung et partir avec Siggeir. Plus tard dans l’année, Völsung et ses fils vinrent comme hôtes en Gautland, le royaume de Siggeir ; mais Signý alla à leur rencontre, sur le rivage, pour les prévenir de ce que Siggeir leur réservait. Durant la bataille qui suivit, Völsung périt et tous ses fils furent faits prisonniers. Ils furent enchaînés dans la forêt. Nuit après nuit, une énorme louve venait dévorer l’un d’entre eux, jusqu’à ce que seul Sigmund reste en vie. Mais la dixième nuit, Sigmund réussit à tuer la louve et s’échappa dans la forêt, où il demeura.

Signý, qui ne cessait de chercher à se venger de Siggeir, finit par échanger son apparence avec une magicienne. Puis celle-ci, sous les traits de Signý, coucha trois nuits durant dans le lit de Siggeir, tandis que Signý couchait avec son frère Sigurd. Ils appelèrent leur fils Sinfjötli. Au loin, son père lui et erraient dans la forêt sous la forme de loups-garous ; mais quand l’heure fut venue, ils se rendirent à la grand’salle de Siggeir et y mirent le feu. Siggeir trouva la mort.

Enfin, Sigmund, accompagné de Sinfjötli, regagna la grand’salle de Völsung, soutenue par l’arbre gigantesque. Là, ils gouvernèrent ensemble. Sigmund prit pour épouse une femme qui haïssait Sinfjötli : elle l’assassina dans la halle en lui apportant un breuvage empoisonné.

Sigmund, fort chagriné, emmena son cadavre sur le rivage. Là, Ódin lui apparut sous l’aspect du timonier d’une petite barque ; il prit le corps de Sinfjötli, l’emporta et disparut.

Sigmund était demeuré sans reine et sans enfants, jusqu’à ce que, durant sa vieillesse, il épouse une femme du nom de Sigrlinn. Son pays fut envahi par une grande armée ennemie. Mais alors que Sigmund luttait farouchement sur le champ de bataille, apparut devant lui un vieillard vêtu d’un sombre manteau à capuchon et armé d’une lance. Lorsque Ódin leva sa lance contre l’épée de Sigmund, le présent d’Ódin qu’il avait retiré du tronc de l’arbre de la maison des Völsung, l’épée se brisa en deux.

Sigmund s’écroula, mortellement blessé dans la bataille. Sigrlinn découvrit où il gisait, mais il écarta toute idée de guérison, disant qu’Ódin l’avait appelé à lui. Avant de mourir, il lui annonça qu’elle mettrait au monde un fils, l’héritier de Völsung, et qu’elle devrait conserver les fragments de l’épée, présent d’Ódin et qui avait pour nom Gram, car à partir de ces fragments, l’épée devrait être forgée de nouveau.

Après la mort de Sigmund, Sigrlinn fut mariée au roi d’un autre pays et lorsque naquit son fils, nommé Sigurd, il fut envoyé chez Regin, fils de Hreidmar, afin d’y être élevé. Regin était un célèbre forgeron, mais doué par ailleurs de multiples talents. Il raconta à Sigurd l’histoire de l’or d’Andvari ; il lui raconta la façon dont Fáfnir, son frère, avait tué Hreidmar, leur père, pour s’emparer du trésor. Refusant d’en accorder aucune part à Regin, il s’était transformé en immense dragon et s’était aménagé un repaire sur la lande de Gnitaheiði.

Alors, Regin exhorta Sigurd à tuer Fáfnir ; il lui forgea deux épées, que Sigurd brisa our à tour. Puis, il obtint de sa mère les fragments de l’épée Gram qui avait appartenu à son père, à partir desquels Regin lui forgea une épée incomparable.

Guidé par Ódin, Sigurd se choisit un cheval nommé Grani, célèbre dans la légende, et se mit en route pour Gnitaheiði, en compagnie de Regin. Là, il se cacha dans une fosse creusée sur le chemin du dragon, jusqu’à ce que celui-ci sorte de son repaire afin d’aller boire ; puis, à l’aide de Gram, son épée, il pourfendit Fáfnir jusqu’au cœur, par en dessous, au moment où le dragon franchit la fosse. Lorsque Fáfnir fut étendu mort, Regin lui trancha le cœur et demanda à Sigurd de le faire rôtir. Sigurd obéit ; cependant, il le toucha et porta le doigt à sa bouche, goûtant ainsi au cœur de Fáfnir.

Il comprit immédiatement ce que les oiseaux perchés dans le fourré disaient des intentions perfides de Regin à son égard ; il se retourna, aperçut Regin, dans l’herbe, qui rampait vers lui et le tua. Puis il gagna le repaire de Fáfnir et après avoir chargé le trésor sur le dos de Grani, il quitta Gnitaheiði.

Alors, Sigurd atteignit une montagne dénommée Hindarfell, au sommet de laquelle il vit un feu et de la foudre. Il chevaucha jusqu’en haut, puis à travers les flammes. Là, il découvrit qu’elles encerclaient un guerrier en armure, qui gisait endormi ; mais lorsqu’il souleva le heaume, il vit qu’il s’agissait d’une femme. Il apprit qu’elle s’appelait Brynhild et qu’elle était une Valkyrie, l’une des combattantes d’Ódin que le dieu avait endormie, pour avoir désobéi à ses ordres.

Au sommet de la montagne, Sigurd et Brynhild se jurèrent fidélité ; mais ils se séparèrent bientôt, elle pour regagner son propre pays ; lui, le pays des Niflung, sur le Rhin.

À la cour de Gjúki, roi des Niflung, et de la reine Grímhild, Sigurd reçut bon accueil et demeura longtemps. Il devint compagnon d’armes de Gunnar et Högni, les princes des Niflung, et lutta à leurs côtés durant leurs combats.

La reine Grímhild était une magicienne habile dans l’art des poisons, sinistre et pleine de ruse. En regardant Sigurd, elle songea à sa puissance et à sa splendeur, ainsi qu’à son trésor d’or ; elle songea aussi à Gudrún, sa fille, d’une grande beauté. Mais elle ne pouvait oublier Brynhild et conclut qu’il partirait bientôt la retrouver.

Un grand festin eut lieu, durant lequel Grímhild apporta à Sigurd un puissant breuvage qu’elle avait préparé : c’était un filtre d’oubli. Il le but et tout souvenir de Brynhild s’évanouit de sa mémoire.

Puis Sigurd et Gudrún furent mariés ; lors de la noce, Gunnar et Högni, princes des Niflung, firent serment de fraternité avec Sigurd, scellé de leur sang. Mais les pensées de Grímhild se tournaient à présent sur le mariage de son fils Gunnar. Elle parla de lui à Brynhild, en disant que Sigurd chevaucherait à son côté lorsqu’il ferait sa cour et qu’elle leur apprendrait de ses ruses de magicienne pour les aider. Sigurd et les Niflung se mirent en route et arrivèrent à la grand’salle de Brynhild, encerclée du feu conçu par Brynhild comme rempart contre tous les visiteurs, hormis Sigurd. Mais Goti, le cheval de Gunnar, refusant de passer par les flammes, Gunnar demanda à Sigurd de lui prêter Grani. Cependant, monté par Gunnar, Grani, refusait lui aussi d’avancer. Alors, grâce à la magie de Grímhild, Sigurd fut métamorphosé et prit l’aspect de Gunnar ; Grani s’élança à travers les flammes. C’est sous les traits de Gunnar que Sigurd rencontra Brynhild et, de même, qu’il lui déclara son amour. Brynhild, en proie au doute, ne comprenait pas, mais Sigurd lui dit qu’elle était vouée par son serment à épouser celui qui avait franchi le feu. Ils s’allongèrent tous deux dans le même lit, mais Sigurd disposa entre eux l’épée Gram, dégainée.

À l’aube, tandis qu’elle dormait encore, Sigurd ôta la bague de son doigt et la remplaça par Andvaranaut, l’anneau d’Ándvari. Puis il quitta Brynhild.

Au moment convenu, Brynhild arriva et fut mariée à Gunnar ; lors de la noce, Sigurd et Brynhild s’entraperçurent, comme il est dit dans le poème :

Telle pierre sculptée,
elle contempla, l’œil pâle,
toute transie et raide,
telle statue de pierre.

Quand de son cœur voilé
s’écartèrent les ombres,
vinrent en mémoire serments,
nul n’étant accompli.
Tel statue sculptée,
austère, inflexible,
il resta sans sourire,
ne faisant signe aucun.

Sigurd partit à la chasse et Gudrún alla se laver les cheveux dans les eaux du Rhin. Mais Brynhild s’aventura plus profondément dans le fleuve, de crainte que l’eau qui avait lavé les cheveux de Brynhild ne coule sur les siens ; elles entrèrent alors en querelle, Gudrún prétendant que la gloire du meurtrier de Fáfnir surpassait toute autre, Brynhild déclarant qu’elle était moindre que la gloire de celui qui avait traversé les flammes. Puis, Gudrún dit en riant : « Celui qui a traversé tes flammes est celui qui t’a donné l’anneau Andvaranaut, désormais à ton doigt. Serait-ce Gunnar qui l’a pris à Gnitaheiði ? »

Voyant ce qui avait eu lieu, Brynhild fut accablée ; elle s’éloigna du fleuve et regagna sa chambre. Là, elle passa la journée couchée, à se lamenter, dans un tourment de rage et de chagrin, pleine de mépris à l’égard de Gunnar et de Gudrún, maudissant Sigurd quand il vint la voir. Elle fit un mensonge atroce à Gunnar en affirmant que Sigurd l’avait possédée lorsqu’il s’était trouvé allongé à côté d’elle, sous les traits de Gunnar. Gunnar le crut.

Il alla trouver Gotthorm, demi-frère de Gunnar et Högni, et l’exhorta à tuer Sigurd, puisque lui n’avait prêté aucun serment de fraternité.

Ensuite, Gotthorm arriva dans la chambre où Sigmund dormait, enlacé par Gudrún, et le poignarda. Avant de mourir, Sigurd dit à son épouse :

Brynhild ourdit cela :
le mieux elle m’aimait,
le pire elle m’infligea.
le pire me fit croire.
Gunnar je n’ai jamais
chagriné ni blessé ;
serments lui ai-je faits,
que j’ai tous accomplis !

Puis Brynhild s’en prit aux Niflung, qui n’avaient pas brisé les liens de fraternité en recourant au meurtre, alors que Sigurd s’était souvenu d’eux:

Une épée reposait
entre nous, lame nue.
Gram reposait, sinistre,
brillant hors du fourreau.

Brynhild elle-même se précipita sur une épée et mourut. Un grand bûcher fut érigé, où furent étendus côté à côte Brynhild et Sigurd, séparés par une épée.

Ainsi finit Sigurd,
descendant de Völsung,
là fut brûlée Brynhild :
finit félicité.

~

Le Nouveau Lai de Gudrún

Fumée s’était enfuie,
Paille dans feu brûlait;
cendres froides flottaient,
par le vent dispersées.
Comme soleil couchant
Sigurd avait fini,
et Brynhild, brûlé
comme feu flamboyant.

Il est dit qu’après le meurtre de Sigurd, Gudrún, accablée de chagrin, refusa de poser les yeux sur ses frères ou sa mère, mais disparut dans la forêt. Au même moment, les Niflung, Gunnar et Högni, dont le père, le roi Gjúki, était alors mort, entendirent la rumeur du pouvoir croissant d’Atli, roi des Huns, et du mouvement de ses armées, qui se déplaçaient vers l’ouest ; il est dit en outre que, toujours assoiffé d’or, il avait entendu parler du trésor de Fáfnir, saisi par les Niflung après la mort de Sigurd.

Les pensées de la reine Grímhild se tournèrent vers Gudrún : elle voyait en sa beauté une façon d’échapper à cette menace ; c’est pourquoi on partit à sa recherche, puis la retrouva, qui occupait seule une maison dans la forêt, où elle tissait une grande tapisserie sur laquelle elle représentait toute l’histoire, depuis la cascade d’Andvari jusqu’à l’arrivée de Sigurd à la cour du roi Gjúki. Là, Gunnar et Högni lui offrirent de l’or en compensation, mais Gudrún, toujours emplie de haine, rejeta les Niflung et Grímhild lui présenta en vain une vision du pouvoir et de la richesse qui seraient les siens, si elle épousait le roi Atli.

Mais la vieille magicienne infléchit Gudrún par son regard et par la force de sa volonté. Gudrún, pleine de tristesse, devint reine du pays des Huns ; quant à Atli, il fit serment de respecter une trêve et une alliance durables avec ses frères. Si Atli était épris de Gudrún, il l’était plus encore du trésor de Fáfnir, mais l’or qu’il convoitait ne quitta jamais le pays des Niflung. Gudrún, percevant ce qui se passait dans son esprit, pressentit le malheur.

Atli fit préparer un grand festin pour des hôtes venus de loin ; on envoya un messager du nom de Vigni faire le long voyage depuis le pays des Huns jusqu’à la grand’salle des Niflung en Rhénanie.

Là, il leur énuméra les nombreux dons, trésors, armes et armures qu’ils recevraient. Gunnar n’éprouvait que ressentiment face à l’orgueil d’Atli ; Högni, lui, répondit que sa sœur lui avait envoyé un anneau, mais qu’autour était entortillé un poil de loup qu’il fallait interpréter comme une mise en garde. Gunnar reçut de Gudrún un message gravé en runes qui ne comportait nulle suggestion de danger ; mais en examinant ces runes de près, Grímhild vit qu’elles se superposaient à des runes au sens tout à fait différent et qui avaient donc été recouvertes. Vingi déploya alors son dernier subterfuge en prétendant qu’Atli, désormais âgé, désirait qu’ils l’aident en tant que régents du royaume, puisque ses fils étaient trop jeunes. Högni ne fut pas dupe, mais Gunnar, qui s’était très profondément enivré, s’écria qu’ils iraient. Ainsi partirent-ils, formant un groupe restreint ; ils traversèrent marécages et forêts, monts et collines, avant d’apercevoir en contrebas la grande forteresse d’Atli, pleine d’hommes armés.

Quand Högni fit céder le portail barré, Vingi sortit, exultant de constater qu’ils avaient chevauché jusqu’à leur perte : potence, loup et corbeau les attendaient ; mais Vingi fut pendu à un arbre, aux yeux de tous les Huns. Un féroce combat s’ensuivit immédiatement. Les Huns furent repoussés depuis le portail jusqu’à la grand’salle et Atli sortit, exigeant l’or « que Gudrún a de droit ». Les Niflung le lui refusèrent avec dédain, puis se frayèrent un chemin jusqu’à l’étage. Mais tandis qu’on les refoulait, Gudrún, entendant les cris, appela les nombreux Goths présents à la cour d’Atli à se soulever contre les Huns leurs maîtres.

Aidés d’un nouveau renfort de guerriers, Gunnar et Högni réussirent à pénétrer dans la grand’salle d’Atli : ils le tenaient à leur merci, mais ne lui auraient pas montré de pitié si Gudrún n’avait plaidé en sa faveur ; sur quoi, non sans mépris, ils le relâchèrent. Libéré, Atli envoya chercher d’autres hommes et les Niflung se retrouvèrent enfermés dans la grand’salle, dont ils devenaient à présent les défendeurs. Le siège dura cinq jours ; mais un conseiller du roi les persuada d’incendier la grand’salle. Puis, les Niflung furent enfin acculés, capturés et enchaînés. Högni fut précipité dans un sombre donjon, mais Gunnar fut emmené au pavillon de Gudrún et jeté au sol devant Atli, qui le piétina. Gudrún vit la scène ; le destin même d’Atli se précipitait. Elle le supplia de renoncer à les mettre à mort, mais Atli répondit que cela n’était possible que si le trésor des Niflung lui était remis.

Gunnar affirma qu’il abandonnerait la moitié du trésor qui lui revenait, mais que jamais son frère, « le fier Högni », ne ferait de même. Qu’on lui apporte le cœur d’Högni, dit-il, et il cèderait tout à Atli. Les conseillers du roi, se méfiant de ce que la reine pourrait faire, s’emparèrent d’un esclave, un berger nommé Hjalli, dont ils tranchèrent le cœur pour le porter à Gunnar. Mais Gunnar sut que ce n’était pas le cœur de Högni, parce qu’il frémissait. Ils tranchèrent donc le cœur de Högni. Gunnar sut alors que cela était vrai et s’écria : « Moi seul, Seigneur des Niflung, détiens et garde désormais l’or pour toujours ! Jetons-le dans les eaux du Rhin ; là ; il reposera. »

Maudit soit Atli,
roi de tous les maux,
de gloire dépouillé,
d’or dépossédé ;
d’or dépossédé,
par l’or tourmenté,
par le meurtre souillé,
par le meurtre hanté !

Atli, fou de colère, ordonna que Gunnar soit précipité, nu, dans la fosse aux serpents. Mais Gudrún lui fit remettre une harpe et tandis qu’il jouait, tous les serpents s’endormirent, sauf une énorme vipère qui se glissa lentement vers lui et le mordit au sein.

Lorsque Gudrún l’entendit crier, à l’agonie, elle fit venir Erp et Eitill, les fils qu’elle avait eus d’Atli.

Les Niflung furent brûlés sur un bûcher et les Huns préparèrent un grand festin de funérailles pour leurs morts, louant Atli et buvant longtemps, tout leur soûl. Mais Gudrún entra dans la grand’salle, portant des coupes ; elle se dirigea vers Atli, lui souhaita bonne santé et il but en riant, car bien que l’or fût perdu pour lui, Gunnar était bien mort. Mais elle dit : « mes frères sont occis, pour lesquels j’ai plaidé. Erp et Eitill, tes fils, demandes-tu à voir ? Ne le demande plus, leur heure est arrivée ! » Elle lui raconta comment, dans sa folie, elle avait assassiné ses fils et avoua que lors de leur débauche, les hommes avaient mangé leur cœur et bu de coupes faites avec leur crâne.

Atli s’évanouit et tomba face contre terre ; il fut conduit jusqu’à son lit, étendu et abandonné à ses rêves. Mais Gudrún pénétra dans sa chambre et le poignarda à mort. Il la maudit dans son dernier soupir, disant qu’elle devrait brûler et flétrir au bûcher, mais elle le railla, répondant « C’est pour toi qu’est prêt le supplice du bûcher ! » Et elle mit le feu à la demeure d’Atli.

Ainsi mourut Atli,
abandonnant la terre,
vint nuit sur le funeste
destin des Niflung ;
de Völsung, de Niflung,
de promesses rompues,
d’outrage et de courage
s’achève le récit.

Mais ayant perdu ses esprits, Gudrún erra à travers le monde jusqu’à ce qu’elle parvienne à la mer ; là, elle se précipita dans les vagues et se noya.

Ainsi gloire s’achève,
et l’or s’évanouit,
sur bruits et clameurs
est retombée la nuit.
Que s’élèvent vos cœurs,
seigneurs et demoiselles,
pour chanson de chagrin
que jadis on chantait.