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Wayne G. Hammond and Christina Scull, Le Fermier Gilles de Ham

« L’ascension et des aventures fabuleuses du Fermier Gilles, Seigneur de Tame, Comte de Casteldragon et Roi du Petit Royaume. »

Christina Scull et Wayne G. Hammond, éditeurs de l’édition du 50ème anniversaire du Fermier Gilles de Ham, racontent les origines de l’histoire, son évolution et développement, et sa publication finalement près de vingt ans après avoir été écrite.

L’histoire du Fermier Gilles du village de Ham, dans une Angleterre située à une lointaine époque, pourrait bien avoir été à l’origine imaginée par J.R.R. Tolkien pour divertir sa famille après un pique-nique, alors qu’ils avaient trouvé refuge sous un pont pendant un orage. C’est en tout cas le souvenir qu’en a John, son fils aîné. Si sa mémoire est exacte, on ne peut toutefois plus dater aujourd’hui l’événement avec précision ; mais puisque Le Fermier Gilles de Ham a été inspiré par les paysages de la région d’Oxford, il a certainement été raconté pour la première fois après le départ de la famille Tolkien de Leeds, en 1926, alors qu’elle s’était de nouveau installée à Oxford. On peut aussi avancer cette date en raison des similarités dans le style entre le tout premier manuscrit du Fermier Gilles et celui de Roverandom d’une part – probablement écrit autour de Noël 1927 – et d’autre part les premières parties du Hobbit, commencé vers 1930.

Le Fermier Gilles de Ham et son évolution

L’histoire du Fermier Gilles s’est développée au fil de versions successives. Chacune d’elle raconte comment Gilles parvient à libérer son pays de la présence d’un géant, à l’aide d’une espingole (une sorte de fusil antique), et est acclamé pour cet exploit. En récompense, le Roi lui donne une vieille épée, qui se révèle être Mordqueues, une arme magique réputée pour être capable de tuer des dragons. Ainsi, quand le village de Ham est menacé par un dragon que les chevaliers du Roi hésitent à combattre, les habitants se tournent vers leur héros local. Ridiculement équipé d’une armure artisanale ainsi que de son épée et aidé de sa jument grise, Gilles capture le dragon et lui fait promettre de partager son trésor avec les villageois. Mais le dragon ne tient pas sa promesse et s’enfuit dans les collines. Gilles part à nouveau à sa poursuite et le force à rapporter son énorme trésor au village. Le dragon aide en outre le Fermier Gilles à défier le Roi, qui veut garder le trésor pour lui seul. A la fin de l’histoire, Gilles devient le souverain du pays.

Conception de couverture par Pauline Baynes pour la première édition publiée en 1949.

Les versions les plus anciennes du Fermier Gilles sont sensiblement différentes de sa forme finale. Dans la toute première, le récit est pris en charge par « Daddy » [Papa] et peu de personnages portent des noms ; les événements sont situés dans un vague passé (« Il était une fois un géant… ») ; et le paysage ne s’apparente à la géographie moderne que vers la fin de l’histoire, quand Gilles prend pour nom de famille Destructeur de Dragons (Worming en anglais) et que Ham est (dans cette version) rebaptisé Casteldragon (Worminghall en anglais*), qui est le nom d’un village situé à quelques kilomètres d’Oxford. Dans la deuxième version, le narrateur est « le fou de la famille » et les événements se déroulent explicitement dans le passé ; mais on compte peu d’autres modifications. Cette version, qui date vraisemblablement des années 1930-1935, est mentionnée par Tolkien dans une lettre, en novembre 1937.

Toutefois, en janvier 1938, Tolkien remanie Le Fermier Gilles de manière conséquente, le rallongeant pratiquement de moitié en vue d’une lecture publique, faite le mois suivant à la Lovelace Society, une society de Worcester College, à Oxford, où les étudiants lisaient des essais. Pour ce public plus nombreux, plus universitaire, il ajoute de nombreux noms propres, des plaisanteries et allusions, et développe les personnages ainsi que le cadre de l’histoire. Ham, situé dans le « Petit Royaume », annonce le village de Thame, à l’est d’Oxford (dans la réalité), et Worminghall devient le nom d’une maison construite par des hommes qui ont aidé Gilles à ramener à Ham le dragon, à présent nommé Chrysophylax (du grec, signifiant gardien de l’or). Parmi les apartés ajoutés au récit, on trouve une référence aux « Quatre Sages Clercs d’Oxenford » – d’une manière évidente, les rédacteurs du célèbre Oxford English Dictionary – et des origines farfelues pour les noms de lieux des environs.

*à prononcer Wunnle : worm [ver] est un ancien terme anglais pour dragon.

Histoire de la publication

A cette période, Tolkien a déjà commencé à travailler à une suite pour l’histoire qu’il a écrite pour ses enfants, Le Hobbit, et ses éditeurs, George Allen & Unwin, espèrent le voir achever son livre pour Noël 1938. Mais la nouvelle œuvre, le futur Seigneur des Anneaux, progresse lentement, et ne pourra être prête à temps. Tolkien suggère de publier Le Fermier Gilles de Ham en remplacement. Il l’a déjà proposé à la fin de l’année 1936, mais le texte a alors été jugé trop bref pour constituer un livre à lui seul. En 1938, Tolkien le fait taper à la machine et le renvoie à Allen & Unwin. Il les avertit toutefois que le Fermier Gilles a pris un ton plus « adulte » comparé à la version précédente, et qu’il n’a pas écrit d’autres histoires du Petit Royaume pour l’accompagner. Le Fermier Gilles plaît beaucoup au responsable de la fabrication des livres, qui s’inquiète cependant de ce que le texte n’appartient pas à une catégorie bien définie, n’étant clairement destiné ni aux enfants ni aux adultes, ce qui pourrait par conséquent venir compliquer la vente du livre.

« Sans avertissement ni cérémonie, il fonça pour livrer bataille. Il se rua sur eux en poussant un rugissement ». Illustration de Pauline Baynes.

Allen & Unwin sont prêts à publier Le Fermier Gilles, mais veulent d’abord que Tolkien termine Le Seigneur des Anneaux. Comme cette suite du Hobbit continue à prendre du retard, Tolkien invite de nouveau ses éditeurs à accepter Le Fermier Gilles, même si au début de l’année 1945 il n’a encore ébauché que superficiellement une suite à ce récit, autour du personnage du fils de Gilles, George le Destructeur de Dragons. La campagne entourant Oxford qui l’a autrefois inspiré – le cœur du Petit Royaume, comme il l’appelait – ne joue plus ce rôle, ayant été transformée au cours de la Seconde Guerre mondiale par la construction d’aérodromes et d’autres équipements militaires.

Finalement, la maison d’édition Allen & Unwin décide de publier Le Fermier Gilles seul, étoffé par des illustrations. Tolkien révise une fois encore le texte, et y ajoute un avant-propos fictionnel, dans lequel il feint d’être l’éditeur et le traducteur d’une vieille légende du Petit Royaume. Après avoir écarté des échantillons d’un premier artiste, Tolkien donne son accord pour une série d’illustrations humoristiques, faussement médiévales, produites pour l’histoire par Pauline Diana Baynes. Il pense qu’elles rendent l’esprit de son livre et constituent un parfait contrepoint à son texte. A partir de la publication du Fermier Gilles de Ham en 1949, Pauline Baynes devient l’illustratrice attitrée de Tolkien.

Un livre pour tous

Malgré les avertissements de Tolkien, la maison d’édition Allen & Unwin fait la promotion du Fermier Gilles comme s’il s’agissait d’un livre pour enfants. Ses premiers critiques cependant, tout comme ses nombreux lecteurs aujourd’hui, ont été prompts à se rendre compte qu’il peut être apprécié à la fois par les enfants et par les adultes. Il se situe dans la lignée des histoires pour enfants telles que Le Dragon récalcitrant écrit par Kenneth Grahame ou les histoires de dragons de E. Nesbit ; mais il est également empreint d’un humour sophistiqué et d’un esprit satirique.

Ces points sont développés dans les notes de l’édition britannique publiée en 1999 pour célébrer le cinquantenaire de la première parution du Fermier Gilles, réalisée par Christina Scull et Wayne G. Hammond, qui comprend en outre des transcriptions du premier manuscrit de l’histoire et des notes de Tolkien écrites en vue d’une suite.

Le Fermier Gilles de Ham a été publié en français dans Faërie et autres textes (Christian Bourgois, 2003).